“Les passants”

Et si la peinture, nous apprenait à regarder.

Sur la toile, des personnages sont absorbés dans une activité qui reste mystérieuse. Il sont là et demain sans doute ils seront ailleurs. Les mêmes ou leurs semblables. Qui sait ? Ils traversent l'espace pictural. Des profils, des visages pour des “Regards croisés” imposent un hiératisme, paradoxal dans une composition où tout nous dit le mouvement, le flux dans une immobilité éphémère. Celle du temps de l'arrêt sur l'image qui est celui de la peinture


Les Passants.
Michel Gemignani les regarde, interrogateur, curieux, amusé et en dresse une galerie qui ne se veut surtout pas sociale. La peinture commande et celui qui lui a consacré sa vie lui demande, tout autant de lui donner les moyens qui alimentent son envie de peindre que de servir, sans éclipser le caractère universel de ses sentiments, les sujets dont le spectacle l'émeut et qu'il adopte parce qu'il sait être ceux là mêmes qui représenteront le mieux, un moment donné de son expérience comme de sa sensibilité.
Nous mettons a notre tour nos pas dons les siens. Nos yeux dans son regard. Une vingtaine de tableaux balisent cet itinéraire qui se fait ou rythme des titres qui se déroulent comme les rimes d'un poème. Ritournelles dont les clés se livrent a nous avec saveur Parfois secrètes, " Les jardins de Meyfong ", elles ne nous seront que de peu d'utilité pour déchiffrer une histoire qui est d'abord celle de la peinture. Il lui faut interroger a nouveau les combinaisons de formes et de couleurs pour des évidences plastiques, questionner encore et toujours la picturalité, qui précède toujours le sujet parce qu'elle est l'enjeu d'une lutte qui oppose l'image a la matière. Inaltérable est son enthousiasme qui le voit accumuler, pendant trois ans, des centaines de dessins. Une déferlante graphique qui viendra nourrir une œuvre encore en devenir. Le geste se libère sur le papier où un gros pinceau esquisse des passants, acteurs d'une foule qui bientôt sous le jeu hasardeux d'un jet d'eau qui lave le dessin, va avancer, reculer, comme projetée dans un mouvement. Eternel retour Présence et effacement Gemignani dompte le provisoire, arrête le passage.
Il vient de prendre la mesure d'une nouvelle proposition. Il lui reste à arpenter son nouveau territoire.
Son enthousiasme est récurrent et égale son ardeur dans l'impérieuse nécessité qui est la sienne de lever les images. Son langage expérimenté à la source traditionnelle ne craint pas l'invention, les chemins de traverse, si forte est sa tension entre son geste accompli et sa vision. L'acquit est au service de ses audaces authentiques. Rivé a sa sensibilité et si cette longue fresque qui se déroule, qui "passe" devant nous était une hagiographie affective ? il ne fait que transposer les éléments perceptibles de l'univers.
Avec la magnificence que nous lui connaissons, sa peinture est jubilatoire. Généreuse, elle canalise la couleur. Réfléchie dans son écriture, elle s'émancipe. Hors mesure et dressée. Baroque et classique. Lyrique et grave. Sauvage et noble.
Elle porte son exigence comme le don grâce auquel elle nous émeut.
Ces passants nous ressemblent.
Leurs visages sont des masques, interchangeables, dans la farandole qu'ils forment pour traverser les frontières.
"On ne se parle pas, puisque l'on se croise", "Vous n'aurez pas notre jardin", "Libellule et papillon", "Suite météorologique", "Comme d'habitude”, "L'une court, l'autre pas”, "To walk under the rain". Cela nous ramène au " 121 rue de la Glacière"
Encore et toujours d'autres regards.
Regardeurs. Regardés. Ils échangent.
Passé et présent. Velasquez et Delacroix ont ouvert la voie à la problématique d'aujourd'hui. Gemignani s'en souvient.
Le passage est cet instant, ce lieu du dépouillement pour renaître différent.
Les Passants. Temporalité. La peinture de Gemignani les installe dans une éternité que nous partageons, le temps du regard. Apprenons à ce qu'il ne soit pas fugitif. Nous y gagnerons en jouissance picturale.

 



Lydia Harambourg


Historienne, Critique d'art


Avril 2003

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